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Dialogue avec D. LA MACHE.

par  Loïc LE MINOR  |  publié en ligne le 5 novembre 2004
   
   

   
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F. Granchamp-Florentino : Vous avez parlé des personnages et de la rencontre entre le chercheur et les habitants et finalement comment avez-vous mené votre regard sur les gens dans votre travail ?

D. LM : Véritablement comme un schizophrène c'est-à-dire un observateur participant. Parce qu finalement un observateur participant c’est une position schizophrénique. On est dedans sans être dedans donc effectivement j’ai intégré dans la description des lieux le fait que j’y participais et que j’y participe réellement et que j’en étais aussi l’observateur. Alors ce n’est pas tenable une position schizophrénique comme ça surtout pendant quatre ans. Donc j’ai adopté une posture au départ qui vaut ce qu’elle vaut mais qui a eu le mérite d’avoir été tenu pendant 4 ans. J’ai considéré que dans les situations observées j’en étais un acteur puisque ce que je n’ai pas dit tout à l’heure, j’ai considéré que pour être logique avec mon questionnement il fallait que j’aille habiter dans ce quartier, donc j’ai habité deux ans dans ce quartier donc j’étais l’un de ses habitants et je participais, à ce titre, au jeu de société avec le fait que je prenne l’ascenseur, que j’ai ma voiture sur le parking aussi, que moi aussi je craigne pour ma voiture le matin etc. que je sois véritablement impliqué dans les enjeux locaux. Donc, dans ma participation à cela, j’étais véritablement un acteur comme tel, et je m’impliquais complètement. Par contre la posture d’observateur c’était en fait pour moi une reconstruction a-posteriori c'est-à-dire que pour essayer de faire la césure entre l’observateur et le participant, c’est une césure temporelle que j’ai faite. Pendant que je suis dans l’interaction, je suis vraiment dans l’interaction et je participe dans l’interaction et c’est en tant qu’observateur après que je me distancie et que du tout je m’extirpe de cette situation.

F. Granchamp-Florentino : Très souvent on considère que ce sont les coulisses de la recherche… et c’est un peu mon expérience aussi. Je trouve que dans ce rapport qu’on peut développer avec son terrain…

D. LM : Mais on s’en tire de la situation schizophrénique…

F. Granchamp-Florentino : Mais il y a des moments on est complètement dans son terrain, on se fond dedans, on n’a plus aucune distance, on a l’impression d’avoir le même avenir que celui des gens qu’on rencontre.

D. LM : C’est vrai qu’à un moment donné on arrive à se poser des questions. Pour moi c’est ça, se dire qu’on est complètement dedans et il ne faut pas que je combatte cette posture schizophrénique mais que je l’organise en me ménageant des temps, des moments pour assurer cette distance.

C. Gibout : En tant qu’ancien Corpo-pétrussien et résidant à 150 m. du quartier pendant très longtemps et connaissant beaucoup de gens dans le quartier… J’étais un peu surpris quand tu as dit qu’il n’y avait pas de culture commune au quartier. J’avais l’impression qu’il y avait une culture commune qui était ce minimum que je crois appelé une « salade niçoise » où il y a une juxtaposition d’agrégats culturels qui fait justement cette communauté et ce dénominateur commun minimal qui au moins « l’être ensemble » de surface et aussi qui est le lieu par opposition à l’espace. Voilà pour la première question. Pour Mme Tinseau, je ne suis pas tout à fait d’accord je crois qu’il y a une reconstruction a-priori de l’histoire parce que les cheminots SNCF en retraite ne sont pas virés des logements. En l’occurrence, ils sont partis volontairement, la plupart à la Rabaterie parce qu’à l’époque où la Rabaterie se construit c’était un vrai projet : le nouveau quartier dans lequel il faisait « bon être » par rapport aux vieux logements HLM qui étaient, à proximité des voies de chemins de fer, très inconfortables. Alors que là on est dans des nouveaux logements beaucoup mieux protégés avec vue sur la Loire et il y avait tout un mythe autour de la Rabaterie quand elle est apparue. Et puis la troisième question, je voudrais que tu en dises un peu plus sur la condition panopticale de la vie en HLM, tu l’as à peine suggérer.

D. LM : Je vais commencer par cette Mme Tinseau qui ne s’appelle pas réellement Mme Tinseau. Il y a effectivement un certain nombre d’erreurs dans les parcours qui m’ont été narré. En 1979, Mme Tinseau et son mari ont quitté ce qu’elle a appelé la villa, ce qui n’est pas neutre d’ailleurs, alors que c’était des logements qui étaient avenue Stalingrad, qui étaient effectivement très bruyants. Elle, elle l’a vécu douloureusement, elle a vécu ça comme un relogement d’office, alors qu’effectivement la Rabaterie n’avait que quelques années, c’était un quartier en construction puisqu’il y avait une partie des logements qui n’était pas construite. Il y avait encore l’illusion à cette époque que cela allait être la cité dans la cité, quelque chose d’idéal puisque le projet d’origine, le projet de 1964 qui voyait dans la Rabaterie un grand mail paysager, qui voyait dans la Rabaterie un certain nombre de commerces, de services etc. Donc, effectivement, il y a sans doute eu à un moment donné un appel pour les faire arriver là-bas, parce que cela intéressait plein de gens et peut-être qu’ils y ont trouvé un intérêt dans un premier temps. Et c’est vrai que quand je lui demande de me raconter son arrivée, elle me raconte qu’au début cela se passait très très bien parce qu’il y avait la possibilité d’un entre-soi cheminot, il n'y avait encore pas grand monde. Il y avait encore la possibilité d’avoir des repères puisqu’ils allaient se promener à la loco. Ce qu’ils appellent la loco, c’est une espèce de vieille locomotive à vapeur pacifique qui a été mise avec des géraniums, qui a été vitrifiée complètement, c’est le souvenir cheminot qui a été érigé en modèle de la commune. Quoi qu’il en soit, elle avait encore ses repères et elle allait se promener vers la loco etc. et puis progressivement, l’idée d’un Eden est devenue un cauchemar parce qu’elle s’est rendu compte que ce n’était pas du tout cela. Et là, au moment où je l’ai rencontrée, elle construisait véritablement ce relogement comme un relogement d’office, comme un relogement douloureux, comme le fait de la municipalité communiste ; parce que je n’ai pas parlé de cet aspect politique mais qui était très présent chez elle. Le fait que la municipalité communiste ait oublié ses ouvriers, les ait trompés, les ait dupés… et c’est en cela qu’elle s’est sentie déplacer, reloger.

Le deuxième aspect, la communauté… Ça a été le deuxième temps de ma recherche de se dire il y a une sorte de culture du « vivre ensemble », une culture du patchwork à la Rabaterie et puis très rapidement quand j’ai essayé de mettre cette idée à l’épreuve des faits et de m’intéresser à ce qui m’intéressait c'est-à-dire l’appropriation et le partage concret de l’espace et bien je me suis rendu compte que cette culture du patchwork ne pouvait être utilisée que comme outils. Je veux dire par-là que de temps en temps, effectivement pour organiser sa cohabitation avec les autres on pouvait faire appel, on pouvait mobiliser cette culture du patchwork qui existait peut-être… Puisqu’elle était utilisée on peut dire qu’elle existait mais elle existait comme outils, comme justification de dire c’est ce qui fait que je m’entends bien avec mon voisin. Mais je ne l’ai pas considérée comme un donné de soi, puisque c’était l’esprit de ma posture. Ne pas la considérer comme un donné de soi qui va organiser les propos, qui va organiser les actes mais véritablement voir des gens qui saisissent ces aspects c'est-à-dire les réalités symboliques et les réalités formelles, techniques, concrètes de leur condition de logement pour organiser leur « vivre ensemble ». Donc j’ai voulu voir comment ces gens invoquaient le « vivre ensemble », invoquaient notamment un des symboles organisés de ce « vivre ensemble » c’est la fête de quartier. Je ne sais pas si cela existe encore, mais chaque année il y avait la fête de la Rabaterie, la première année il y avait NTM qui était venu. Il y avait une certaine image de cette fête de quartier et il y avait l’idée… C’était en grande partie incitée par la municipalité, je ne sais pas comment elle a été appropriée depuis…

C. Gibout : Ça existe toujours et le mail a été ouvert. La ville est reliée à Tours…

D. LM : Ce que je dis là puisque c’est du bricolage des conditions logements à partir du moment où les conditions de logements ont changé, évidemment ce que je dis là… Je pense que le principe reste mais que les expressions deviennent différentes. Le fait qu’il y ait une liaison avec la ville va symboliquement au moins changer des choses. Tout ça pour dire que cela existe en tant qu’outils au service de la présentation de soi et du bricolage de l’habitat.

C. Gibout : Tu fais référence à une société où l’on est sans cesse sous le regard de l’autre, une société de surveillance…

D. LM : C’est pareil, il ne s’agissait pas pour moi de savoir si cela existait ou pas mais de considérer que c’était une donnée de base ce sentiment qu’on avait d’être constamment sous le regard de l’autre. Évidemment cela aurait été pour moi une aporie que de se dire : « est-ce que c’est vrai que ? » mais ce qui m’intéressait plutôt c’était de se dire : « sachant que l’on considère les choses comme ça, comment est-ce qu’on va organiser le fait de vivre ? » C’est effectivement ce sentiment d’être toujours sous le regard de l’autre, ce sentiment de ne jamais trop savoir sur quel pied danser parce que quand on dit : « Bonjour madame », et qu’on vous répond « bonjour madame » c’est très difficile savoir si on est en train de se fâcher avec son voisin ou pas. C’est ce sentiment là qui m’a intéressé, c’est cela qui m’a permis de rendre cohérent l’espace privatif du logement, l’espace retranché du logement avec ces espaces extérieurs où se jouait le sentiment d’avoir le regard de l’autre. Et quand je disais tout à l’heure ce regard de l’autre est aussi présent à l’intérieur du logement parce que ce sentiment d’être sous le regard de l’autre. Et cette réalité objective que dans un appartement on entend ce qui se passe au-dessus et en dessous et bien ce sentiment va aussi organiser les limites et les franchissements. Le franchissement du logement, c’est-à-dire jusqu’où va le logement ? Est-ce que le logement va jusque sur le paillasson ? Est-ce qu’on a la possibilité technique et symbolique d’établir le chez-soi jusque sur le paillasson c'est-à-dire dans un petit bout des parties communes ou pas ? Est-ce que le chez-soi, le retranchement va être possible, comment est-ce qu’on va le gérer dans le fait de ne pas faire trop de bruit parce que les voisins vont entendre ou dans le fait d’écouter ses voisins. J’ai fait parler les gens sur une des données techniques du logement qui est que dans l’une des tours (il y a cinq grandes tours qui sont parmi les plus anciens immeubles du quartier) où il y a un collecteur d’eaux usagées qui va du haut jusqu’en bas ce qui fait que quand on est dans la salle de bain on entend parfaitement bien la conversation du dessus et du dessous. Pour moi, cela a été très intéressant pour parler de ce regard de l’autre et de la construction de cet espace retranché. Jusqu’où et comment on va construire cette soustraction au regard des voisins.

C. Gibout : Il y a deux choses. D’abord une des barres a été rasée pour ouvrir le quartier. C’était un quartier où tous les bâtiments se regardaient. Cette fermeture a été cassée donc maintenant on peut rentrer dans le quartier et le traverser. On le traverse par un très grand mail qui maintenant relie le Centre-ville de Tours par ligne de bus directe, ce qui n’était pas le cas avant et avec un pré-équipement parce que dans les années à venir, le projet est déjà arrêté, une ligne de tramway va être installée pour relier le quartier au Centre-ville de Tours.

F. Granchamp-Florentino : En quoi ce transport peut transformer les usages et les représentations de cet espace ? Est-ce que cela ne va pas alimenter une pratique de désinvestissement local et de surinvestissement vers l’extérieur, la complexité des réseaux le prouve ?

D. LM : Évidemment, je ne suis pas en mesure de répondre sur ce que cela va devenir. Par contre, ce que je peux dire c’est la logique que j’ai vue à l’œuvre et qui, je pense, va s’adapter aux nouvelles conditions objectives. Ce que j’ai pu voir et que je n’ai pas développé là, c’est qu’habiter à la Rabaterie, mettre en cohérence ce travail d’artisan, de metteur en cohérence de sa trajectoire sociale et résidentielle, c’est aussi un travail de liaison entre son loger et l’ensemble de la ville. Ça se voit concrètement dans la construction de mobilité. Les distances physiques sont ce qu’elles sont, les moyens de transport sont ce qu’ils sont. Par contre, de la distance ou de la proximité ça c’est de la construction. C’est de la construction qui se fait sur les conditions objectives de logement et de transport. J’ai par exemple suivi des gens quand ils allaient faire leur course, parce que cela me paraissait intéressant et j’ai vu comment on construisait de la mobilité. Et j’ai vu des efforts de construction de mobilité qui pouvaient se greffer sur tout ce dont on pouvait disposer. Le principe du bricolage c’est : on va prendre des éléments du réel qu’on va assembler pour en tirer profit. Construire de la mobilité c’est un peu ça, c’est du bricolage. Par exemple, une des mes interviewés qui n’a aucun véhicule personnel, ce serait sans doute différent maintenant mais qui, à l’époque, aurait pu penser comme une assignation le fait qu’elle soit bloquée sur le quartier. Elle m’expliquait ces constructions de mobilités et finalement de la Rabaterie à Tours, elle pouvait quand elle prenait le bus, elle pouvait mettre ¾ d’heure. Si elle prenait le train à la gare de Saint-Pierre, elle était en 50 min. à Paris. Donc, elle me construisait de la proximité et de la distance en me disant finalement je ne suis pas plus loin de Paris que de Tours. Donc, on a tort de dire que l’on est enclavé à la Rabaterie. C’était ce travail de construction – reconstruction. D’autres me montraient des constructions de mobilités, par exemple j’ai suivi Miloud dans ses déplacements qui détournait les moyens de transport et pour lui l’enjeu c’était de dire nous sommes coupés c'est-à-dire construire de la rupture pour se revendiquer comme jeune des quartiers. Je cite : « Je vais construire de la rupture, pour moi aller à Tours c’est la galère, il faut prendre la navette. C’est la galère, d’ailleurs je ne paie pas les transports etc. » C’était donc construire différemment les distances, les proximités qui le liaient au reste de l’agglomération urbaine.

F. Granchamp-Florentino : Ça me fait penser aux travaux de F. Dubet sur les quartiers de la Garonne où finalement il n’y a que les jeunes qui occupent l’espace publique et qui se l’approprient. Les autres catégories de population ont un tout autre rapport, ils sont dans le logement, dans leur espace privé et ils vivent à l’extérieur du quartier. Le logement est alors perçu comme une étape de la trajectoire résidentielle, ils ne veulent pas avoir l’impression d’être bloqué sur place…

D. LM : Bloquer sur place… C’est la place qu’il va occuper dans sa trajectoire qui va s’harmoniser avec l’ensemble des constructions de mobilité etc. Ceci étant dit, ce que j’ai pu constater, je mettrais une petite nuance au fait que les jeunes soient les seuls qui investissent l’espace public, ils l’investissent physiquement, ils y impriment ostensiblement leurs marques effectivement. J’ai aussi essayé de travailler sur l’impression de la marque dans les halls, les tags etc. Effectivement de manière physique, ostensible, les jeunes investissent l’espace public, mais ils seraient peut être abusif de dire qu’il est désinvesti par les autres. Il est investi par les autres, au moins symboliquement et il n’est pas abandonné complètement à cette population. La preuve c’est que de temps en temps, il y a des bras de fer qui se font pour refuser cet investissement de la part des jeunes. Cette résistance face aux jeunes ne va pas se traduire par un investissement physique, on voit très très mal des gens…

F. Granchamp-Florentino : C’est une lutte contre l’appropriation ce n’est pas vraiment un investissement.

D. LM : C’est un investissement réactif, c’est vrai. Entendons-nous sur le terme, investir les espaces publics, c’est placer différemment dans l’idée que l’on se fait du quartier, c’est considérer a-priori qu’on n’a pas à investir ces espaces parce qu’en fonction de la trajectoire de chacun, il vaut mieux pour l’image de soi ne pas les investir. Par contre il est aussi intéressant de ne pas les laisser investir par les autres. L’investissement n’est pas un investissement volontaire en disant : « il faut absolument que j’investisse ! » L’investissement est simplement de dire : « Attention, si l’autre investit trop ça rompt l’équilibre subtil qui fait que j’ai ma place aussi ici. »


   
   

   
 
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LE MINOR Loïc  (2004). "Dialogue avec D. LA MACHE.". Actes de la Journée d'étude des Jeunes Chercheurs ICoTEM. Poitiers, mai 2003.

Accessible en ligne à l'URL :
http://edel.univ-poitiers.fr/partesp/document.php?id=80
   

 

   

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LES AUTEURS
Loïc LE MINOR

ATER Faculté des Sciences du Sport, Université de Poitiers. Doctorant en sociologie, Laboratoire IcoTEM, MSHS POITIERS.

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