D. Peyrusaubes : Est-ce que les impacts économiques pour les moniteurs de ski hors-piste ont été quantifiés ? Et tu termines en disant qu’il faut arriver à un compromis, à un moment donné dans le secteur que tu étudies, on a l’impression d’une fuite en avant on peut alors se demander comment trouver un compromis ? Tu parlais de la diminution des glaciers et de ses répercutions sur le ski estival, ne va-t-on pas arriver à monter de la neige sur ces glaciers pour inverser la tendance et à rentabiliser la chose ?
L. L. : Ce n’est pas faux puisque cela se pratique. Pour répondre sur les moniteurs de ski, comme je l’ai dit, à partir de moment où le ski hors-piste n’est pas une pratique officielle et où en théorie elle n’est pas recommandée voire interdite. Il n’y a aucune étude statistique, il n’y a aucun chiffre qui permette de dire dans une station il y a tant de skieurs hors-piste, tant qui prennent leur forfait et qui vont faire hors-piste. En dehors des comptages que j’ai indiqués avec le nombre de trace dans la réserve gérée par l’ONF, c’est le seul chiffre qu’ils ont. Donc à partir de là, il faudrait rencontrer tous les moniteurs de ski un par un et puis leur demander pour leur station, ça pourrait faire l’objet d’une étude soit géographique, soit sociologique, pour savoir la proportion des skieurs hors-piste, pour avoir des chiffres. Pour le moment, il n’y a aucune statistique fiable, on sait simplement qu’il y a des stations qui se sont spécialisées plus ou moins sur la pratique. Les Arcs a été l’une des premières à lancer ce type de pratique, en 1984, ils ont produit un film Apocalypse Snow qui met en valeur le monoski. Il s’agit d’une descente avec un skieur hors-piste qui était poursuivi par d’autres etc. C’est un peu là-dessus qu’ils ont construit la réputation de la station. Actuellement, il y a deux grands domaines qui se sont spécialisés là-dedans, il y a la Grave-la-Meije ( ?) dans les Hautes-Alpes où il y a une grosse remontée mécanique au milieu et après il n’y plus rien d’équipé, il n’y a pas de damage etc. Donc tout est en hors-piste, aux risques et périls des skieurs, et c’est devenu un spot pour les jeunes très branchés, il y a des Canadiens, des États-Uniens qui viennent s’implanter uniquement à la Grave pour ça. Et l’autre à Chamonix, d’Argentière à 1 200 m. jusqu’à l’Aiguille des Grands Montets ( ?) à 3 200 m. On sait que 80-90 % des gens qui vont prendre le forfait vont faire du hors-piste mais pour les stations qui nous concernent dans le Massif de la Vanoise, il n’y pas de quantification, il n’y a aucun chiffre. Après au niveau des retombées économiques pour les moniteurs de ski, il y a des moniteurs de ski qui se sont spécialisés là-dedans. C'est-à-dire que eux à titre personnel prennent leur pied en faisant du hors-piste ça les regarde et ils emmènent des gens là-dessus. Et une descente en ski hors-piste dans le premier exemple que j’ai développé c'est-à-dire les Arcs-Villaroger c’est 300 francs pour les deux itinéraires autorisés. Parce que pour les itinéraires interdits…
P. Reveau : Plus le forfait, qui coûte à peu près 300 francs la journée aussi ?
L. L. : Aux Arcs un petit peu moins mais maintenant dans les grosses stations de Savoie, Tignes-Val d’Isère c’est 250-300 francs. Ça c’est la première chose. Pour Val d’Isère c’est 250 francs le forfait plus 500-600 francs pour le hors-piste et 2 000 francs pour l’hélicoptère. Et à partir de là, on sait maintenant que cela se développe parce qu’il y a des guides des meilleurs hors-pistes sur telle station, telle station. On sait qu’on va aller à l’école de ski pour demander à faire du hors-piste on va vous dire « adresser à vous à untel, à untel. » Mais pour Tignes et les Arcs tous les moniteurs font du hors-piste parce qu’au bout d’un certain temps, emmener des gamins de 5 ans faire des vertes quand on est moniteurs de ski ça va bien, mais quand ils ont des gens qui savent vraiment skier et qui sont intéressés pour faire du hors-piste, ils les emmènent. À mon avis le problème n’est pas tellement économique il est ce que j’ai dit au début et là on se rapproche de la sociologie, l’affirmation de la liberté chère aux montagnards c'est-à-dire qu’il est absolument impossible d’interdire cette pratique actuellement en Tarentaise. Quand ils ont tracé les limites du parc de la Vanoise, il y a des gardes qui se sont fait sortir à coup de fusil. C’est assez spécial le contexte dans les hautes vallées alpines. Bonneval-sur-Arc, le dernier petit village de Haute-Maurienne dont j’ai parlé, c’est particulier. Dans les îles bretonnes on a parlé d’étranger, là c’est assez caractéristique ! D’un village à l’autre, pendant très longtemps, jusqu’au milieu du xxe siècle, ils ne s’adressaient pas la parole. Entre le dernier village de Maurienne, Bessans, il y a 300 habitants maintenant et Bonneval-sur-Arc il y en a 200, c’est deux communautés différentes et ça c’est anecdotique : jusqu’à une période récente, il n’y avait pas de cimetière à Bonneval-sur-Arc, ils laissaient les morts sur les toits pour ne pas aller les enterrer les morts au cimetière de Bessans, à coté. De toute façon, l’hiver on ne pouvait pas enterre les morts parce qu’il y a 4 m. de neige. C’est assez marrant si vous y allez en hiver, parce que la cour récréation de l’école, ils construisent des tunnels sous la neige pour pouvoir faire jouer les gamins. Donc c’est vraiment un contexte particulier. Et le dernier hameau, en dessus de Bonneval-sur-Arc, là où les skieurs arrivent après leur descente, l’Écot ( ?). L’Écot ( ?) est un village qui est très particulier, à plus de 2 000 m d’altitude, jusqu’en dans les années soixante-dix, ça a été, en Savoie, le hameau le plus haut habité. Maintenant ce n’est pas habité, il n’y a pas d’eau courante, pas d’électricité… Alors évidemment, depuis 20 ans ça a été racheté par des Hollandais et le frère du patron de Danone… enfin des gens qui ont les moyens. Et dans ce secteur là c’est encore la guerre entre le hameau de l’Écot ( ?) en particulier et le village de Bonneval. Ils refusaient que femmes de Bonneval se marient avec des gens de l’Écot ( ?). C’est un état d’esprit dans les hautes vallées qui est très particulier. Alors il y a eu beaucoup de difficultés pour l’implantation du Parc National de la Vanoise. Ça a dérangé beaucoup de monde, par rapport à l’extension des domaines skiables. Ça je n’en ai pas trop parlé, le poids économique du ski. S’il n’y avait pas de ski, il n’y aurait plus personne dans les hautes vallées. Donc, on ne va pas dire aux gens : « On va vous mettre du Parc National partout et vous ne faites pas de remontées mécaniques ». On a beaucoup tapé sur les stations de ski, surtout dans les années soixante-dix, dans le cadre du plan neige. C’est vrai que quand on voit l’architecture d’une station comme Les Ménuires, il y a des quoi se taper la tête contre les murs, c’est complètement aberrant, en plus ils ont construit ça sur un glissement de terrain, enfin passons. Le fait est que sans le ski, actuellement en Savoie il n’y aurait rien, il faut être clair par rapport à ça.
D. Peyrusaubes : Est-ce qu’il n’y a pas, à un moment donné, un équilibre à atteindre ? Tu parlais des nuisances sur les têtra-lyres, les chamois on va bientôt être obligé de les chercher avec des jumelles…
L. L. : Les chamois, en zone centrale de la Vanoise, il y en plus de 10 000… Mais en fait, c’est le problème que j’évoquais du compromis. Compromis qu’on est censé faire trouver à l’État français.
P. Reveau : Mais comment trouver un compromis avec cette discipline qui n’est pas définie ? Puisqu’il n’y a pas de définition du hors-piste, il n’y a qu’une définition par le contraire. Alors tu disais qu’on essayait plus de limiter que d’interdire…
L. L. : Il y a une réglementation mais on ne peut pas l’appliquer.
P. Reveau : Est-ce qu’il ne faut pas reconnaître cette discipline pour commencer ?
L. L. : Elle est reconnue officieusement, on sait qu’il y a du hors-piste. On sait qu’ils passent par-là, on essaie de gérer les conséquences sans en avoir les moyens financiers. Parce qu’au vu des moyens qui sont accordés soit à l’ONF, soit au Parc Naturel de la Vanoise, si on fait une réglementation et on dit « Tous ceux qui passent par un itinéraire interdit sont verbalisés. » À ce moment-là on met le nombre d’agents de l’ONF en conséquence pour pouvoir s’en occuper. Or, sur la zone de Villaroger qui fait plus 1 000 hectares, il y a un seul agent durant tout l’hiver. C’est sûr qu’à lui tout seul, il ne peut pas aller récupérer tous les skieurs. De toute façon, à la sortie des itinéraires, quand ils savent qu’il y a des agents de l’ONF, ils coupent à travers la forêt pour éviter d’être pris.
P. Reveau : Mais est-ce qu’il ne faudrait pas essayer de réglementer, de codifier le ski hors-piste, comme on l’a fait pour le ski de randonnée et le ski de piste ?
L. L. : À un moment, j’ai évoqué : « non à la montagne interdite » ; C’est quand il y a eu, mais c’est plus pour des raisons de sécurité, des skieurs hors-piste, dans les années quatre-vingt-dix qui ont déclenché des avalanches. Soit, ils provoquaient des avalanches sur les pistes en dessous et ils entraînaient des skieurs qui n’étaient pas du tout en hors-piste, soit ils provoquaient des problèmes par rapport aux pisteurs qui venaient les chercher et qui eux aussi étaient mis en danger et puis surtout par raison économique parce que quand les gens partent dans des itinéraires hors-piste, après il faut dépêcher des moyens qui sont relativement lourds pour les trouver rapidement. Alors au bout d’un certain temps, ça a fini par coûter cher à la société, il n’est pas normal pour que 4 ou 5 skieurs on dépense tant d’argent alors qu’ils vont dans des itinéraires qui ne sont pas autorisés. Et parfois ils sont mêmes fortement déconseillés en raison des conditions de neige, c'est-à-dire qu’il y avait beaucoup de neige fraîche qui venait de tomber. À partir de là, on a dit : « on va faire payer les secours aux gens qui sont à l’origine de ce type de dérangement et on va essayer de réglementer les itinéraires et de le proscrire complètement. » C’est à partir de là que c’est mis en place cette campagne : « Non à la montagne interdite » qui dit en gros : « les gens ont le droit de choisir un itinéraire hors-piste, c’est leur propre volonté, s’ils y restent et bien ils y restent ». On ne peut pas réglementer les pratiques de la montagne dans un espace sauvage. D’ailleurs ce qui est intéressant c’est de voir que les associations comme Mountain ( ?) qui s’est créée pour la défense de la montagne sauvage etc. en gros ils disent : « Nous on est pour la protection de la montagne donc il ne faut pas qu’il y ait trop de dérangement de la faune… Il faut créer des parcs nationaux, il faut créer des réserves naturelles etc. » et d’un autre coté ils sont pour la pratique libre de la montagne, donc ils sont pour la pratique du ski hors-piste qui induit un certain nombre de désagrément. Donc là aussi, ils sont dans une incohérence et sur quelque chose qui n’est pas tenable. Donc si on réglemente trop ceux qui sont pour une pratique libre ne veulent pas qu’on réglemente donc comment on fait. On ne peut pas interdire parce qu’il y a trop d’enjeux économiques.
L. Granchamp-Florentino : En référence à Pierre Mascon qui nous explique que la politique d’environnement n’existe pas. L’installation d’un compromis local ne débouche pas forcément sur la meilleure défense de la nature. Ce n’est pas là-dessus que je voulais réagir. C’est plus sur le fait que lui aussi a étudié les sources médiatiques et je voulais savoir si c’est l’une des sources que tu as traitées et si tu pouvais, par rapport à cette pratique du ski hors-piste, observer une évolution du discours. Parce qu’il me semble, sans mettre vraiment pencher sur la question, que justement dans le traitement médiatique de cette pratique et de ses conséquences (les skieurs qui se perdent) il y avait à un moment dans le débat de dire « ça coûte cher » et puis là cette année, j’ai entendu des reportages de gens qui se sont perdus : « oui mais nous avons été responsables, nous nous étions renseignés sur la météo… » J’ai l’impression que cela se normalise et que cela se traduit par un traitement médiatique nouveau.
L. L. : Je ne m’y suis pas penché plus que ça parce que ça n’est pas le centre d’intérêt principal de mes recherches, donc c’est un traitement très marginal. Pour ce qui est du traitement médiatique, il varie profondément en fonction des sources, des magazines et des revues qui se consacrent à la montagne etc.. En particulier je me suis servi d’une ou deux, la vision aérienne que vous aviez du versant de Villaroger est tirée de Montagne Magazine. Ce magazine propose des itinéraires, les meilleurs hors-pistes etc. Il y a donc une forme de recommandation des meilleurs coins, comme on peut avoir les meilleures plages. Après de la part des autres médias, je dirais que ce sont des réactions qui restent très épidermiques c'est-à-dire que lorsqu’il y a eu l’histoire des montagnards de la Vanoise qui, en hiver, ont été surpris par une tempête etc. et qu’il a fallu aller les chercher, toute la presse s’est déchaînée en disant : « Comment cela se fait ? C’est une honte etc. » Mais le reste du temps, il n’y a pas d’articles, sauf dans les grandes revues nationales qui se consacrent véritablement à ce problème. Donc c’est vrai qu’on a eu une phase de plusieurs événements de ce type-là et c’est à ce moment-là qu’il y a eu cette réaction : il faut interdire, il faut limiter cette pratique, il faut empêcher les gens de se conduire comme ça. Mais on retombe sur ce que je disais, on ne peut pas interdire la pratique en tant que telle. Parce que ce qui est revendiqué, c’est la liberté de la pratique et la liberté d’avoir le droit de disparaître dans une avalanche, s’ils ont pris des risques. Le risque et sa conséquence. Soi disant qu’ils ont conscience qu’en empruntant tel itinéraire ils ont un risque d’y rester. Mais là on rejoint le thème de la sécurité en montagne, c’est la même chose en été avec les Alpinistes. Quand quelqu’un a pris un risque, qu’il est planté en plein milieu d’une paroi. Puisqu’il y est allé alors qu’on lui avait dit de ne pas y aller, est-ce qu’on va pour autant le laisser mourir au milieu de sa paroi ? Le problème est là, et c’est exactement la même logique pour le secours en montagne. Il y a eu une campagne pour dire « le secours en montagne va être payant ». Le problème maintenant, en particulier dans le massif du Mont-Blanc, les gens font des itinéraires parce qu’ils sont venus à Chamonix pour une semaine et qu’ils veulent faire le sommet. Donc ils montent de toute façon sans tenir compte des conditions et dès qu’ils sont plantés au milieu d’une paroi ou qu’ils se sont faits mal à la cheville, ils prennent leur portable et ils appellent. Donc actuellement, en particulier sur le secteur de Chamonix, les gens montent et dès qu’il y a le moindre pépin, dès qu’ils se retournent un ongle ils appellent et il y a le SAMU qui monte. Voilà comment cela se passe donc après c’est à eux de gérer à partir de quand il y a urgence ou pas, à partir de quand on doit secourir quelqu’un qui s’est mis en danger de sa propre intention tout en sachant très bien, pour ceux qui connaissent bien le milieu de la montagne, que en montant dans de telles conditions ou dans tel secteur, il y avait de fortes chances qu’il se créé un certain nombre de problèmes. Moi en tant que tel je n’ai pas de réponse, est-ce qu’il faut laisser les gens comme ça ?