Avant d’entamer ma présentation, je te tenais à remercier l’équipe organisatrice. En acceptant ma proposition de participation, elle me donne ainsi la chance de réaliser devant vous, ma 2ème communication.
Je suis Emmanuel NICOLAS, étudiant en 1ère année de doctorat à l’université Paris XIII et membre du laboratoire du CPST de Toulouse le Mirail. J’apprécie les champs d’étude très ouverts même si je m’appuie plus volontiers sur l’Analyse du Discours, la Sémiotique ou encore la Sémantique interprétative. Ma contribution à ce séminaire sur le partage de l’espace, et les espaces partagés reprendra quelques-unes des questions posées dans le mouvement de réalisation de ma thèse.
En quelques mots, mon travail de thèse porte sur le rôle de la textualité et/ou les manifestations textuelles présentes dans un contexte type : l’espace urbain. À travers l’étude de ces manifestations textuelles, je souhaite déterminer une représentation de l’instance citoyenne, mais aussi le rôle et la place qu’elle occupe. Plus simplement, la problématique que je souhaiterai vous exposer porte sur l’espace urbain, un espace partagé par des instances et dans lequel l’individu interagit.
Prenons comme postulat qu’au sein de l’espace urbain constitue un flot d’informations dont les origines sont diverses et distinctes. Ce flot d’information est le plus souvent matérialisé par des manifestations textuelles cohabitant les unes avec les autres. L’individu plongé en son sein les perçoit parfois les unes au dépend des autres. Face à ceci, l’individu agit, réagit, et il est quasi certain qu’il produit lui-même un discours.
Mon idée est donc d’examiner et classer ces manifestations d’informations. Elles doivent en théorie révéler la présence et la nature de différentes instances regroupées autour de grands pôles :
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Instance commerciale
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Instance publique
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Instance citoyenne et/ou civique.
Ces différentes manifestations partagent, vivent et s’animent dans ce même espace. Chaque manifestation d’information serait une preuve de l’existence d’un échange, ou du moins d’une volonté d’échange, et donc d’une communication sinon au moins une tentative de communication entre les différentes instances.
Cette validation d’une communication et à fortiori des instances qui y participent apporterait une sorte de consistance à cet espace.
Il est alors possible à considérer que l’ensemble des manifestations de discours seraient affiliées les une aux autres et formeraient un groupement hétéroclite de discours. Toutes s’intègreraient au sein d’une seule « instance » discursivité urbaine, qui serait alors autant un lieu qu’un « macro actant » du discours. Cette discursivité urbaine correspondrait alors à la voix de la cité, une voie plurielle s’adressant à l’individu qui traverse ou vit dans l’espace urbain.
À la demande de l’appel à la communication, la présentation qui suit ne devrait pas reposer sur des théories particulières seulement peut être quelques unes des plus grandes lignes de la Sémantique interprétative, la Sémiotique, mais surtout de l’Analyse du Discours. En tout cas, le traitement de cette communication se voudra résolument dynamique et appliqué.
La figure 1 représente schématiquement et de manière non exhaustive la pluralité des manifestations appartenant à la Textualité au sens non restrictif (ne s’arrêtant donc pas à textualité verbale écrite). Elle montre aussi que la Textualité n’est la seule forme de manifestation. Si l’on conserve une approche extrêmement ouverte, il serait tout à fait envisageable de s’intéresser à l’architecture, l’environnement, les comportements …

Figure 1 : Tableau synoptique de la discursivité.
La première raison reste bien entendu ma formation en sciences du langage. Je me restreints au domaine de prédilection. Ce n’est pas la seule raison bien entendu. Pour mieux comprendre ce choix, je vous propose de voir ce que je considère comme étant un exemple de manifestation textuelle.
Observons la figure 2 (Cf. photo 1): Ici nous avons une affichette collée sur un poteau quant à lui fixé sur le trottoir, et qui appartient à un ensemble de mobilier urbain disposé dans la rue et le quartier. L’affichette contient un message et des indices d’appartenance. Le poteau est relativement anodin mais il supporte l’affichette. En définitive comment considérer cette apparition textuelle ?
Qu’elle figure sur un poteau ?
Qu’elle figure sur une affichette ?
Je pense qu’il vaut mieux indiquer qu’elle figure sur un poteau, non pas pour prendre en considération le poteau, mais plutôt pour analyser l’affichette et le contenu qu’elle accueille comme un tout. C’est ce « tout » que nous pouvons considérer comme une manifestation textuelle.
Les manifestations du type « textualité écrite » sont caractérisées par un degré minimal de matérialité contrairement à d’autres manifestations plus évanescentes.
Cette restriction au départ essentiellement théorique de ne s’intéresser qu’aux manifestations textuelles trouve un écho méthodologique. Ce type de manifestation est relativement facile à isoler, et classer. Cela permet la déterminer d’une sorte de typologie des manifestations même s’il existe une pluralité de modes d’apparitions.
Ce n’est pas tout. Cette matérialité vient apporter un autre intérêt non négligeable. Elle s’associe à une sorte de fixité dans l’espace et aussi une temporalité venant toutes deux réaliser un contre poids aux manifestations plus évanescentes. Cette fixité et cette temporalité (qui restent très relatives d’une manifestation à l’autre) permettent en théorie une adresse plus ouverte, un accès à une multiplicité d’individus. Bien plus que des caractéristiques techniques, c’est sans doute sur cela que repose l’intérêt de la manifestation textuelle, c’est à dire sa visée plurielle.
Il serait possible d’énumérer des dizaines de raisons validant l’intérêt de la Textualité et plus spécifiquement la textualité écrite mais je ne souhaite pas rentrer dans des considérations sur la valeur des manifestations alors qu’elles sont simplement très différentes. Je préfère pour clore cette question de la textualité vous parler de la textualité en interaction avec la discursivité et ainsi vous montrer l’intérêt de ce type d’objet. Schématiquement nous aurions ceci (voir figures 4 & 5) Ces deux schémas s’inspirent du schéma de la communication défendu par Patrick Charaudeau.
Je vous propose de commenter la (Cf. photo 2) reprenant le « dispositif de mise en scène du langage. ». Dans une communication, il faut distinguer l’identité sociale et psychologique d’une part et l’identité proprement langagière d’une autre.
Premièrement il y a les partenaires de l’acte de langage :
Il y a les protagonistes de l’énonciation avec
La figure 1 représente la distinction entre plan de l’énonciation (là où me semble t’il se place la textualité) et le plan du discours.

Figure 1: le plan de l'énonciation
La figure 2 finit d’expliciter que textualité et discursivité opèrent sur 2 plans distincts.

Figure 2: les deux plans de la textualité et de la discursivité.
Quelques mots sur les mentions rattachées à textualité et discursivité :
(S’inscrit dans une id. sociale :) Considérons que tout moyen de discours dispose de représentations (graphique/iconique pour l’iconographie ; etc.) porteuses de traits identitaires sociaux. D’une part les critères d’apparitions pourraient indiquer l’origine énonciative, soit la nature de l’instance informante. D’autre part ces apparitions et/ou ces critères d’apparitions d’un message pourraient être des indicateurs sur l’instance citoyenne visée (ou du moins l’approximation que l’instance énonciatrice s’en fait).
La textualité, et à fortiori la textualité urbaine disposerait donc de représentations (en l’occurrence des textes aux formes et manifestations diverses) qui mis en relation avec le plan du discours véhiculeraient les traits identitaires du destinataire visé, tout comme ceux de son énonciateur.
(Construit et témoigne d’une id.destinataire :) Lorsque nous parlons de construction d’une identité destinataire, ayons à l’esprit que le discours produit des effets sur les partenaires de l’échange. En effet entre énonciateur/destinataire cible, il y a un véritable jeu d’influence, un rapport de force dont les conséquences se répercutent sur chacun d’entre eux. Par exemple à l’issue d’un message reçu, le destinataire cible pourrait adopter de nouveaux comportements, chose qu’il n’aurait pas nécessairement faite s’il n’avait pas reçu et interprété le message. (par exemple réactions à l’issue de publicités commerciales ou encore de messages institutionnels valorisant le civisme, etc.).
Donc les représentations de la textualité reflètent la nature du message énoncé alors que la discursivité correspond davantage aux conséquences discursives que le discours produit.
Nous en avons pris connaissance un peu plus haut dans l’argumentation, il existe en dehors de la Textualité d’autres manifestations. Nous avions aussi vu que cette pluralité des formes de communication existe aussi à l’échelle de la Textualité, où il existe très certainement autant :
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des manifestations textuelles aux caractéristiques de formation proches (emploi du même support) mais aux finalités discursives distinctes.
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des manifestations textuelles aux caractéristiques éloignées mais aux finalités discursives similaires.
Maintenant que textualité et manifestation textuelle sont à peu près convenablement définis, il est possible d’envisager une sorte de classification, et déterminer des prototypes d’apparition. Le but avoué de cette classification sera de faciliter l’association de types de manifestations à des types d’instances énonciatrices.
Pourquoi déterminer une classification de la textualité par types de manifestations. ?
Nous ne restons pas attachés aux critères de support. La question du support doit être présente mais elle n’est pas indispensable à une typologie. Il vaut mieux traiter le support en terme de circonstance et/ou dispositif matériel
Il ne faudrait pas non plus partir des instances pour y chercher à tout prix des manifestations textuelles. Sinon ces procédures laisseront suggérer qu’une manifestation textuelle est nécessairement tributaire d’une instance énonciatrice. ayant pour base une problématique autour des instances.
En procédant de manière empirique et en complétant petit à petit la typologie, il est possible d’éviter cet écueil, tout en montrant qu’une affiliation de types de manifestations à des instances énonciatrices est possible.
Aujourd’hui, quant est il de cette classification ? Elle repose pour le moment sur 3 macro-catégories de dispositifs. Voir figures 6, 7 & 8.
La Signalétique :
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signalétique routière (panneaux indicateurs, marquage au sol …)
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enseignes (dénomination des lieux publics, enseignes de magasins, noms sur les boites aux lettres, etc.)
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plaques (plaques professionnelles, noms de rues, etc.)…
Du point de vue du support toutes ces manifestations sont figées. Elles sont conçues pour durer ce qui implique un certain degré de fixité. Cette notion de durée et de fixité est essentielle puisque l’ensemble des manifestations repose sur une finalité d’orientation au sein de l’espace urbain. Cette orientation nécessite préalablement une identification puis une représentation de l’espace.
Ajoutons à cela que l’ensemble de ces manifestations entretient un rapport coercitif avec l’instance citoyenne. Cette coercition semble être systématique d’une manifestation à l’autre. La différence se situerait dans l’expression de celle-ci à des degrés différents.

Figure 3: Fiche synoptique de la signalétique.
L’Affichage :
comprend l’ensemble des affiches. Ces affiches connaissent une subdivision au sein de ce que nous pourrions appeler 2 classes d’affiches :
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Affiches sur panneaux spécifiés.
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Affiches sur autres types de support (murs, colonnes libres, supports détournés, etc.) les affiches n’étant d’ailleurs plus nécessairement des affiches mais aussi des affichettes et affiliés (petites annonces, avis de recherche, écriteaux de mendicité, etc.)
Pour toutes ces manifestations le support est ici relativement mouvant mais surtout il se caractérise par une nature événementielle voire relativement éphémère où l’une des principales finalités serait le traitement de l’information événementielle.

Figure 4: Tableau synoptique de l'affichage
Une troisième grande classe à désigner comprenant :

Figure 5 : Fiche synoptique de la classe à nommer.
Soient toutes les manifestations reposant sur une disposition matérielle pouvant entrer dans la vie privée, et/ou être directement manipulée. Elles auraient pour fonction un traitement d’information événementiel mais relativement détaillé.
Quelques précisions avant d’aller plus loin. Notons d’une part que ces 3 macro-catégories n’accueillent pas à priori ou dans une moindre mesure toute une série de manifestations :
Les dégradations (tags, inscriptions diverses, …)
mais aussi toute une série de manifestations plutôt à visée descriptive soit : les vitrines et gondoles ; écriteaux commerciaux [cartes de restaurant] ; effets personnels [noms, marques figurant sur les objets portés ou/et transportés par les personnes].
Ces manifestations reposent très certainement sur des finalités archétype1 ne nécessitant pas un traitement attentif. Elles seront bien sûr intégrées au sein de l’analyse globale du processus textodiscursivité urbaine.
Grâce à l’élaboration de ces 3 macro-catégories est à présent possible d’entrevoir une sorte de cartographie de l’espace urbain en matière de manifestations textuelles.
Une fois convenablement isolées au sein de macro-catégories, il devient possible de rebondir sur la présence et l’implication de certaines instances.
Ce qui suit n’est pas encore formulé en tant que discours pleinement accrédité mais simplement comme une appréciation personnelle dans l’état actuel de l’étude.
D’une manière générale, instances publiques et commerciales se manifestent ostensiblement dans les mêmes catégories de manifestations textuelles. La principale différence repose sur l’usage de la signalétique. La signalétique (et sa visée performative) convient parfaitement pour les panneaux indicateurs, les panneaux directionnels, les plans, catégories représentées uniquement par l’instance publique.
La place de l’individu dans tout cela ?
L’individu qui traverse cet espace urbain constitue en premier lieu le destinataire des messages véhiculés par la textualité. Il reçoit plus ou moins bien ces informations en quantité. Il est en tout cas la cible privilégiée des instances.
Mais son rôle ne se cantonne pas nécessairement à celui de destinataire. Il peut lui aussi être inscrit dans le cadre d’une instance urbaine informante, et ainsi chercher à véhiculer lui aussi des messages :
Pour se faire l’individu ne doit plus tout à fait un actant anonyme. Il participe en fait à une instance citoyenne plus ou moins structurée (association, groupe, syndicat, club ou collectif). Ils mettent en avant leurs messages par le biais de tracts, d’affichages plus ou moins sauvages, encore de manifestations en tout genre. Parce que l’instance citoyenne ne bénéficie pas des mêmes structures que les autres instances, la représentation des ses messages en terme de moyens est plutôt modeste, ce qui ne l’empêche pas pour autant d’occuper l’espace urbain.
Par contre son occupation semble beaucoup déstructurée. Là où par exemple un discours publicitaire s’inscrit presque systématiquement dans un panneau dit publicitaire, les manifestations textuelles de l’instance citoyenne ne fonctionnent pas ou peu de cette manière. Il n’y a peu ou pas d’espaces dédiés qu’il leur soit dédié. L’instance citoyenne fonctionne donc principalement autour du détournement. Ce détournement peut se révéler être un détournement de support, de lieu, ou encore un emprunt de codes de discours attribués traditionnellement à une autre instance informante (logos, couleurs, slogans). (Fig9/ Fig10 Cf. photos 3 & 4).
Il y a en réalité un double détournement avec l’accaparation des lieux, et une reprise de la terminologie « soldes » ; A vendre ; - 20% ; …
L’individu peut aussi agir seul. Son action passera encore une fois par le détournement mais à la différence qu’il n’y aura pas ou peu de signes d’appartenance ou de ralliement. C’est le cas des petites annonces même si leur apparition se fait de plus en plus dans un cadre structuré. De manière plus anecdotique c’est aussi le cas des espaces publicitaires achetés pour faire passer un message personnel qui s’adresse bien souvent à une ou quelques personnes bien précises.
Le plus souvent l’action d’un individu seul se résume à de la dégradation plus qu’à du détournement. Il dégrade alors un support qu’il soit propice ou non à supporter un discours. C’est notamment le cas des tags ou des inscriptions diverses que l’on trouve sur les murs, les toilettes publiques… (voir figure 11 Cf. photo 5)
Ici contrairement à une manifestation de l’instance citoyenne, la visée ne veut pas être large, elle est au contraire extrêmement restreinte. Elle peut même être totalement dépourvue de visée.
Quelques mots pour finir.
Au regard de l’Analyse du Discours, il est donc possible de considérer l’espace urbain comme un espace d’échange et de communication où les instances sans qu’elles soient nécessairement explicitement présentes, se matérialisent notamment à travers des manifestations textuelles.
Certaines manifestations semblent être la chasse gardée d’une instance (voir la signalétique routière ou directionnelle étroitement liée à l’instance publique.) Mais l’espace urbain reste relativement ouvert et accueille une pluralité de manifestations aux visées et aux formes très diverses. L’individu vivant dans cet espace, est tout à fait en mesure de participer pleinement à cette « macro communication ». En étant actif par le biais d’une communauté, il partage cet espace avec les autres instances informantes. Il formerait avec celles-ci une voix plurielle et dynamique, la discursivité urbaine.
J’espère qu’à travers ce rapide aperçu de ce qui fonde mon sujet de thèse, j’aurai réussi à susciter votre intérêt. En vous remerciant.