Index par auteurs
Index par mots clés
   
   
ACTES
Communications
Dialogues

 
Syndication de contenu au format RSS 0.92
Accueil   Actes   Dialogues Dialogue avec F. ...



Article

Dialogue avec F. GRANCHAMP-FLORENTINO.

par  Loïc LE MINOR  |  publié en ligne le 5 novembre 2004
   
   

   
Texte intégral | Haut de page
   

M. Traoré : Comment est-ce que [les gens] sont positionnés par rapport à l’espace ?

F. G-F : Comme je disais, ce qui change beaucoup, c’est qu’il y a eu un renouveau démocratique au Brésil dans les années quatre-vingt-cinq. Il y a de plus en plus des mouvements sociaux, des organisations de producteurs, ou des organisations représentatives de différentes catégories de population qui habitent dans les régions amazoniennes qui font que ce ne serait plus comme avant, comme à l’époque de la dictature militaire, par la simple imposition, ça créait des luttes. Et ce qui est intéressant dans ces luttes là, c’est justement le recours à des acteurs extérieurs à l’espace national pour venir appuyer les stratégies des luttes des acteurs locaux.

D. Peyrusaubes : Est-ce que dans les catégories de population, s’est créé un nouveau groupe social qui comprendrait les gens sans terre et les populations amérindiennes ? Parce que ce sont deux groupes différents.

F. G-F : En fait ce qui est intéressant c’est qu’il y a eu la création d’une organisation qui regroupe les populations traditionnelles. Donc dans les populations traditionnelles ( ?) entre les amérindiens, les ( ?) les exploitants de caoutchouc et puis aussi ceux qu’on appelle les Caboclos qui vivent en bordure du fleuve et qui pratiquent une petite agriculture vivrière et puis l’exploitation des ressources de la forêt. C’est assez enrichissant de regrouper par catégorie les populations traditionnelles. Dans le même temps, elles peuvent avoir des intérêts très divergents, par exemple, pour le projet de gestion forestière communautaire qui est proposé comme une alternative de développement et qui permet une conservation des ressources forestières par un montage approprié, durable et donc le développement de communauté locale. C’est un projet auquel les Sengeros ( ?) adhèrent, enfin une partie des Sengeros ( ?) adhère et pour eux c’est quand même un peu une révolution parce que leur mouvement s’est forgé autour de la défense des arbres contre les grands exploitants et agriculteurs qui arrivaient dans la région. Mais à partir du moment où on leur dit que cela peut être durable, que cela peut leur offrir des ressources supplémentaires, il y en a beaucoup qui veulent rentrer dans cette nouvelle proposition. Mais les Amérindiens, eux, sont extrêmement réticents. Ils ont très très peur, ils le voient comme un risque de se faire avoir. Ils laissent les Sengeros ( ?) expérimenter ça et puis ils attendent de voir ce que cela va donner chez les voisins. Enfin, il n’y a que très très peu d’Amérindiens qui ont investi, mais pas toujours de façon durable. Il y a des Indiens qui ont tout simplement voulu vendre leurs ressources forestières pour avoir des revenus. Ce qui ne l’ont pas fait sont très réticents.

H. Rakoto : Dans cette forêt, il a des procédés d’éco-certification ?

F. G-F : Bien sûr, mais dans le même temps l’éco-certification concerne plutôt les petites entreprises.

H. Rakoto : C’était le but de ma question parce que là vous parlez d’un programme de gestion communautaire…

F. G-F : Alors là, justement dans les projets de gestion forestière communautaire, ils aimeraient avoir la certification parce que normalement elles sont mises en œuvre de façon durable. Mais finalement elle ne leur est pas acceptée parce que ce n’est pas rentable. C’est cher à mettre en place, à obtenir le label et puis ça produit un surcoût. C’est difficile à absorber compte-tenu du faible volume produit par ces communautés.

H. Rakoto : Alors est-ce qu’on peut dire que c’est… puisque l’un comme l’autre c’est du développement durable officiellement, c’est une manière de se partager le territoire ? Les grandes compagnies, je sais que Lapeyre qui importe le bois en France n’achète plus le bois du Parà que par le biais d’exploitations éco-certifiées. Donc entre ceux qui ont les moyens et les populations…

F. G-F : Dans ce mode de partage de l’espace, ce qui est intéressant c’est que c’est le recours à la notion de développement durable pour légitimer des actions contraires, de catégories sociales complètement différentes et qui produisent parfois des exclusions pour d’autres catégories sociales. C’est un des thèmes qui m’intéresse beaucoup en ce moment pour une nouvelle recherche c'est-à-dire comment le développement durable peut aussi conduire à des exclusions sociales, ou alimenter des processus d’exclusion sociale.

H. Rakoto : Souvent, dans les processus de la Banque Mondiale, ceux qui ont des moyens s’approprient la technique proposée, l’approche proposée pour exclure les autres.

F. G-F : Le fait d’aborder le développement par projet créé en soi des exclusions parce que les projets s’adressent forcément à certains et pas à tous. Et ce ne sont pas des politiques et donc à chaque fois il y a l’occasion de reproduction de discrimination.

L. Le Minor : Sur les typologies d’habitat que vous proposez, laquelle se retrouve majoritairement, laquelle est la plus fréquente ?

F. G-F : Il n’y a pas de prépondérance d’une typologie. Peut-être la multipolarité est la plus courante du fait de sa souplesse. Parce que le modèle patriarcal commence à être remis en question. Les jeunes générations l’adoptent de moins en moins. Il y a un changement social dans ce domaine qui fait qu’on le retrouve plus fréquemment au sein des populations qui viennent des régions nord-est et qui ont des modes de relations familiales assez différentes des populations qui venaient du sud du Brésil. Ce sont des descendants d’immigrants européens qui sont passés par des processus de changements sociaux divers et plus précoces que dans les régions nord-est qui sont restées très traditionalistes. C’est intéressant de voir qu’aujourd’hui ce sont encore les familles nord-estines qui reproduisent le modèle patriarcal mais il commence à évoluer. Je pense que le modèle d’avenir c’est plutôt le modèle des familles du sud.

L. Le Minor : Donc c’est ce modèle multipolaire des familles du sud qui semblent être le plus valorisé socialement avec cette possibilité d’être à la fois dans le rural et l’urbain ?

F. G-F : Oui, et qui est présent dans tous les modèles.

M. Taabni : Ce processus procède de la mutation à l’intérieur de cet espace et d’une évolution qui se voulait « semi-dirigée » par le pouvoir central brésilien pour répondre à un souci d’égalité. Je dis « semi-dirigé » en comparaison avec ce qui s’est passé en Union Soviétique avec les agrovilles, les sovkhozes… la poussée vers l’Est, la conquête de la Sibérie. Et semi-dirigée parce qu’on a ce système ouvert puisque de l’homogénéité sociale des pionniers qui vont être rattraper par les éleveurs, on retrouve une différenciation sociale très forte… Ce qui se passe dans le Brésil déjà colonisé, mis en valeur se retrouve au bout d’un moment sur ce front pionnier.

F. G-F : C’était déjà un peu présent dès l’origine parce que je vous ai décrit le soin que l’INCRA apportait à offrir des parcelles (on a vu le schéma d’occupation, qui est resté globalement le même) mais l’INCRA avait aussi prévu, à d’autres endroits ou dans des lieux précis, dans ce plan global la présence de propriétaires plus importants. Parce qu’il y a quand même cette idée de modernité et au Brésil, il y a aussi cette idée que la modernité ce n’est pas forcément l’agriculture vivrière mais plutôt l’agriculture patronale. Donc, il était bien prévu qu’il y ait des moyens et des grands (mais trop) propriétaires à proximité de ces lieux pour donner l’exemple. Mais en même temps, l’autre préoccupation est d’occuper l’espace. Cette nécessité d’occuper l’espace pour les militaires, cela se fait avec du nombre, ce qui n’est pas le cas avec ces grands propriétaires-là. Donc, ils étaient dans des logiques contradictoires dès le départ : faire venir les agriculteurs familiaux en nombre, donc un projet plus égalitaire. Du coup les aménagistes se sont pris à rêver de création complètement ex-nihilo de communautés dans des espaces neufs mais à coté il y a quand même cette idée… Les agriculteurs familiaux sont les modernes par rapport aux archaïques que sont les Amérindiens, mais par rapport à eux, les agriculteurs familiaux sont quand même archaïques par rapport à l’agriculture moderne qui doit finalement s’implanter dans cette région pour assurer le développement du Brésil. Quelque part, ils sont à l’interface, et c’est en cela qu’ils sont vraiment pionniers et qu’ils appartiennent vraiment à la frontière, parce qu’ils sont à l’interface des espaces physiques et des espaces sociaux.

M. Taabni : Par rapport au contrôle du territoire, la prise de conscience du capital spatial… Globalement qui domine l’espace ? Le pouvoir vient de la ville ou est-ce qu’il est partagé avec les agriculteurs familiaux ?

F. G-F : Dans la mesure où ce sont des villes rurales qui sont complètement orientées vers l’agriculture. Les réseaux sociaux sont complètement transversaux, donc la ville ne peut pas assurer complètement son hégémonie sur l’espace rural. Même quand on fait des améliorations dans la ville, c’est quelque part pour valoriser l’ensemble du territoire rural. Pour les pionniers c’est très important d’avoir une ville qui les représente. La ville les représente, il n’y a pas de rapport d’opposition. En même temps, ce qui est intéressant localement, ils aiment bien que les hommes qui les représentent puissent justifier d’un parcours de colon, qui puissent entretenir ce mythe de la frontière, de la mobilité sociale et que c’est grâce au travail que celui qui est devenu le Maire a pu s’élever socialement. Maintenant le capital social et culturel qui fait qu’untel a pu effectivement devenir Maire et pas un autre est complètement occulté.

M. Taabni : Pour catégoriser ces villes, quels sont les pourcentages d’agriculteurs dans ces villes ?

F. G-F : Dans les enquêtes que j’ai réalisées, j’avais deux localités qui font entre 10 000 et 15 000 hab. où il y avait 26-28% d’agriculteurs ou de salariés agricoles qui vivent en ville. Dans les petites localités la majorité étant les petits propriétaires. À Altamira, qui est une ville de plus de 50 000 hab. c’est encore 20 ou 30% mais de façon très dominante des salariés agricoles. Et autour du pôle régional il y a beaucoup plus de grandes exploitations, c’est pour cela que les salariés se regroupent dans cette ville-là et vont travailler dans les grandes haciendas alentour. Ce qui est frappant, c’est que j’ai assisté à des réunions au niveau municipal pour débattre de l’avenir du développement local. C’est une initiative très novatrice pour un front pionnier parce qu’on s’interroge sur l’intérêt de débattre de l’avenir d’un lieu si on est amené à s’installer plus loin. L’émergence même de ce débat montre bien que l’on est en rupture par rapport aux discours antérieurs et donc localement c’était vraiment impressionnant de voir que les gens venaient de très loin et ils se définissaient par leur éloignement à la ville.


   
   

   
 
Documents associés | Haut de page
 
 

Il y a 1 document associé à cet article :

 
   
[ article du site ]
La frontière amazonienne : un espace de mobilité socio-spatiale et de différenciation sociale.
   
   

   
 
Pour citer cet article | Haut de page
 
   

LE MINOR Loïc  (2004). "Dialogue avec F. GRANCHAMP-FLORENTINO.". Actes de la Journée d'étude des Jeunes Chercheurs ICoTEM. Poitiers, mai 2003.

Accessible en ligne à l'URL :
http://edel.univ-poitiers.fr/partesp/document.php?id=77
   

 

   

  Retour au sommaire Article suivant 
   
Aff. pour impression
Signaler par mail
   
LES AUTEURS
Loïc LE MINOR

ATER Faculté des Sciences du Sport, Université de Poitiers. Doctorant en sociologie, Laboratoire IcoTEM, MSHS POITIERS.

MOTS-CLES
Brésil
 
Sommaire
Texte intégral
Documents associés
Pour citer cet article

 


Accueil  |  Actes  |  Dialogues > Dialogue avec F. ...
   
 
Laboratoire ICOTEM - Identité et Connaissance des Territoires et Environnements en Mutation (EA 2252)
Maison des Sciences de l'Homme et de la Société - Université de Poitiers
99 avenue du Recteur Pineau - 86022 Poitiers
http://www.mshs.univ-poitiers.fr/icotem - loic.le.minor@univ-poitiers.fr
   
 


Administration du site (accès réservé)  - Crédits & Mentions légales